9 janv. 2019

Comment je n’ai pas su.



Dans mon tout premier article, je vous parlais des difficultés j’ai éprouvé pour raviver de vieux souvenirs, lors des entretiens avec la psy qui a diagnostiqué mon fils. Je vous avais dit, alors, que cela avait été d’autant plus dur que certains de ces souvenirs étaient déjà « vieux ».
Aujourd’hui,  j’aimerais aborder le questionnement que ce diagnostic tardif – mon fils avait déjà près de 11 ans ! – a généré en moi. Questionnement que je pourrais intituler : « Comment ai-je pu passer à côté de ça ? ».

Oui, aujourd’hui, je vais vous parler de toutes ces choses, petites ou grandes, que nous n’avons pas su voir. Ou plutôt si, nous les avons vu et vécu, mais sans savoir qu’il s’agissait d’indices. Ainsi, lorsque les premiers mots de notre fils se sont avérés ne concerner que les voitures – les marques des voitures, qu’il me fallait égrener le long des trottoirs, à chaque fois que croisions une voiture – ça nous a amusé. Lorsqu’il s’est mis à jouer aux petites voitures, un peu partout et tout le temps et que nous avons réalisé que les seuls cadeaux qui l’intéressait de recevoir, c’était une petite voiture ou un garage pour ses petites voitures ou un tapis avec des routes pour ses petites voitures ou un film avec une voiture pour héro… ça nous a intrigué, mais sans nous inquiéter. 

Lorsqu’il s’est mis à refuser de manger autre chose que des pâtes et du saucisson, on a été très embêté et on en a parlé à son pédiatre. Mais puisque ce dernier s’est contenté de lui donner des vitamines « pour lui ouvrir l’appétit » (en ignorant d’ailleurs totalement le fait que je lui avait clairement dit que le problème n’était pas un manque d’appétit), on a décidé de faire avec, en attendant qu’il grandisse. Car après tout, si ça n’inquiétait pas son pédiatre, son refus de manger autre chose que des pâtes et du saucisson devait simplement rentrer dans la catégorie : « ça disparait avec l’âge ».

Lorsqu’il a montré des difficultés pour lier des amitiés en maternelle, on s’est dit que c’était sans doute à cause de la barrière de la langue, puisque nous étions français et que nous vivions dans un pays germanophone. Lorsqu’il se mettait à paniquer lorsqu’il était confronté à un changement dans sa classe, son rythme de vie, ses habitudes, nous pensions que c’était un simple trait de caractère. De même, lorsqu’il se mettait à pleurer devant un dessin animé, on se disait qu’il était simplement émotif, sensible et que ça faisait partie de son charme. 

Lorsqu’il a commencé à avoir quelques sautes d’humeur à l’école, on s’est dit, une fois encore, que la barrière de la langue devait encore faire des siennes, de temps à autre ; et lorsqu’il nous disait qu’il ne comprenait pas ses camarades, on pensait qu’il faisait références aux mots qu’ils utilisaient et dont il ne connaissait pas la signification ou bien qu’il s’agissait simplement de mots qu’il ne connaissait pas encore et qu’il comprenait donc de travers. Lorsqu’il nous a expliqué qu’il n’aimait pas que ses camarades de classe prennent des libertés avec le règlement du foot et qu’ils détestaient qu’ils « trichent », nous avons pris le temps de lui expliquer que, dans la cours de l’école, les enfants s’amusent d’abord et avant tout et que les vraies règles du foot devenaient souvent secondaires à leurs yeux. Il a fait un effort pour essayer d’intégrer l’idée et nous sommes passés à autre chose.
Et lorsqu’il prenait au sérieux nos boutades et nos traits d’ironie et se fâchait ou pleurait parce qu’une remarque anodine à nos yeux lui faisait de la peine ou le mettait en colère, on s’étonnait qu’il semble incapable de comprendre le second degré et on se disait que ce n’était pas bien grave, que ça changerait au fil du temps, lorsqu’il prendrait de la maturité. C’est ce qu’on pensait également de sa tendance à oublier ou perdre ses affaires, de ses difficultés à ranger sa chambre ou ses cahiers à l’école, à se souvenirs des devoirs qu’il avait à faire à la maison, à prendre en note ses cours en classe, à se concentrer durant les cours, à noter les devoirs qu’il avait à faire, se souvenir à quelle date il était censé les rendre ou encore quel livre ou cahier il devait emmener dans son sac d’école pour pouvoir faire ses devoirs.
 
Moi, sa maman, j’ai toujours eu le sentiment que mon fils avait quelque chose de différent des autres ; qu’il n’était pas simplement timide ou réservé ; que s’il était parfois difficile, ce n’était pas parce qu’il était capricieux ou parce qu’il était mal éduqué comme on a pu me le dire parfois. Mais voilà, le pédiatre n’avait rien vu chez lui qui pouvait sortir de l’ordinaire. Et tout le monde, autour de moi semblaient s’accorder pour dire que c’était surtout le contexte de notre expatriation qui rendait son éducation difficile et que tout deviendrait plus simple lorsqu’il aurait atteint un meilleur niveau dans sa maitrise de la langue de Goethe et/ou lorsqu’il aurait gagné en maturité. Et lorsque je me suis inquiété de ses difficultés alimentaires persistantes et que nous en sommes venus à penser sérieusement, son papa et moi, qu’il devait souffrir d’une sorte de néophobie alimentaire, nous avons décidé d’en tenir compte, mais sans pour autant oser aller chercher de l’aide car nous craignions de paraitre ridicules, paranoïaques ou de passer pour des parents trop inquiets. 

Puis, un jour, le directeur de son collège m’a appelé pour me dire que mon fils s’était enfui dans les couloirs suite à une remarque d’un de ses camarades de classe et que personne ne parvenait plus à le retrouver. Puis, un autre jour, mon fils s’est enfui jusque dans la rue, après qu’un prof l’a grondé car il n’avait pas fait un devoir. Et puis il y a eu ce jour où il s’est enfui dans les couloirs de son collège et qu’il nous a avoué – après avoir enfin réussi à se calmer – qu’il avait eu l’impression que les gens autour de lui s’étaient transformés en « zombies ».

Un changement d’école plus tard et après quelques rendez-vous chez un psychiatre et une psychologue, j’ai su, j’ai compris : si mon fils se contentait de jouer avec des petites voitures – ou des dragons ou des jeux vidéo, puisque après sa passion pour les petites voitures il s’était intéressé à ces domaines là – c’est parce qu’il s’agissait là de ses centres d’intérêts  « restreints » – que l’on dit parfois également « spécifiques ». Si mon fils s’était longtemps contenté de pâtes et de saucisson, c’est parce qu’il souffrait réellement de difficultés alimentaires. Mon fils n’était pas simplement timide ou réservé, il n’était pas simplement émotif et s’il ne comprenait pas les autres ce n’était pas uniquement à cause de la barrière de la langue. Il n’était pas simplement distrait et ses difficultés de concentration en classe ne venait ni d’un manque d’implication ni d’un manque de volonté de sa part.

Non, mon fils est Autiste.

Évidemment, sur le moment, je m’en suis voulue : comment avais-je fais pour ne pas m’en rendre compte ? Comment avais-je pu être aussi aveugle ?
Puis j’ai réalisé que si je n’avais pas su voir, c’est simplement que je ne savais pas.
C’est un peu comme si, face à un tableau de maitre, on m’avait demandé de dire ce que j’avais en face de moi. J’aurais été capable d'y reconnaitre de l'art abstrait ou figuratif, un paysage ou un portrait ou tout autre généralité du même acabit, mais certainement aurais-je été incapable de dire que la façon dont il avait été peint (choix des couleurs, des pigments, technique utilisée, précision des coups de pinceaux…) désignait un Courbet, un Caravage, un Renoir ou un Géricault ; tout simplement parce que même si ça m'intéresse, je n'y connais à peu près rien. Ainsi, avant, dans mon fils, je voyais un enfant et si je ne voyais pas la signature de l’autisme dans son comportement et sa manière d’être, c’est parce que personne ne m’avais jamais appris à reconnaitre l’autisme.

Depuis que j’ai pris conscience de cela, je ne culpabilise plus. Il m’arrive bien, parfois, de regretter que le diagnostic n’a pas été posé plus tôt, car, compte tenu des nombreux signes qu’il manifestait, Salimar aurait pu obtenir un diagnostic clair bien plus tôt. Mais je ne culpabilise plus.

Il m’est arrivé, ensuite, d’en vouloir aux autres. A ces personnes qui, de mon point de vue, aurait dû détecter son handicap sinon avec précision, au moins suspecter quelque chose et, partant de là, m’inciter à aller consulter. Mais voilà, ni le personnel enseignant de sa maternelle, ni son institutrice en école primaire, n’ont su détecter tous les indices qu’il semait derrière lui. Et puis, j’ai réalisé qu’en réalité, toutes ces gentilles personnes ne devaient pas en savoir plus que moi. On peut le déplorer, mais, objectivement, je ne peux pas leur en vouloir.

Alors, voilà. Je suis la maman d’un enfant qui a été diagnostiqué, tardivement, comme autiste. L’essentiel est fait, d’une certaine manière et, désormais, il nous faut aller de l’avant.

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