Le
plus dur, c’est de se souvenir ; de réussir à extraire de notre mémoire ce
qui nous paraissait être de détails ; de faire remonter des profondeurs de
nos archives mémorielles des micro-évènements qui n’ont pas forcément été gravés
dans le marbre.
Oui,
l’exercice est difficile, surtout lorsqu’on a conscience que ce qu’il nous
faut, ce sont des souvenirs les plus exacts possibles, ceux qui seront les plus
proches de la réalité de ce qui a été réellement vécu et ressenti. Or, la
mémoire est un outil neuronal malheureusement peu fiable : on ne se
souvient pas de tout et, lorsqu’on se souvient, ce n’est pas toujours – pour ne
pas dire rarement – avec exactitude.
Et
parce qu’il est difficile, l’exercice devient vite pénible. Et pourtant, il est
nécessaire ; pour ne pas dire indispensable. Alors, à défaut de pouvoir le
faire avec exactitude, on se livre à l’exercice avec le plus de sincérité
possible. En espérant que ça sera suffisant ; en croisant les doigts pour
ne pas déformer la réalité – ou pas trop, en tout cas ; en faisant le vœu
de ne rien oublier d’essentiel.
Mais,
pardon, je vous parle et vous ouvre mon cœur, sans m’être présentée au
préalable. Corrigeons donc dès maintenant cette impolitesse.
Je
suis « Artelise ». Je suis une femme française, quadragénaire, mariée
depuis presque 14 et je suis la maman de deux enfants. Sur ce blog, je
dénommerais mes proches sous les pseudos de « Zhom, Salimar et
Leia ». Il vous sera nécessaire de savoir, également, que nous avons la
particularité d’être ce que l’on appelle des « résidents français à
l’étranger » puisque nous vivons en Autriche.
Je
disais donc, avant ce petit interlude, que le plus dur, c’était de se souvenir.
Surtout lorsque les souvenirs remontent déjà à près d’une décennie ! Car,
de fait, lorsque nous avons commencé à soupçonner quelque chose, mon Salimar
avait déjà plus de 10 ans. C’est son entrée au « collège » (en
Autriche, on appelle ça un Gymnasium), qui a provoqué une crise d’une telle
ampleur qu’il nous était impossible de passer à côté. Cauchemars, énormes
difficultés d’endormissement, peur d’aller à l’école, incapacité à faire ses
devoirs (pour de multiples raisons : il oubliait ses cahiers, oubliait de
prendre en note les devoirs qu’on lui donnait, oubliait de ramener les rares
devoirs qu’il parvenait à faire à temps… etc.), incapacité à ranger ses
affaires en classe, difficultés à se concentrer en cours et surtout, surtout,
d’énormes crises de panique.
J’ai
pensé à du harcèlement scolaire et la psychologue de l’école a suggéré qu’il
souffrait peut-être de TDAH – trouble plus connu sous le terme d’Hyperactivité
– et j’ai soupçonné une douance – ce que l’on appelle
communément « enfant surdoué » - à cause de certaines capacités
d’apprentissage qui me semblaient exceptionnelles, tout particulièrement dans
le domaine des mathématiques.
Alors,
nous avons consulté. Une psychologue spécialisée dans le domaine de
l’intelligence, tout d’abord, qui a rendu un diagnostic « normal »
bien qu’elle ait détectée une certaine aisance à la limite de la douance dans
le domaine du langage. Puis un psychiatre qui a confié le dossier à une
collègue psychologue spécialisée dans les troubles de l’enfance.
Et
c’est là que le challenge a débuté. Car c’est à ce moment-là qu’il a fallu que
je fasse l’effort de me souvenir et que je trouve le moyen de répondre à des
questions du genre : « il a commencé à parler à quel âge ? Quels
ont été ses premiers mots ? Il a commencé à marcher à quel âge ? La
période de transition entre l’étape du quatre pattes et de la marche a été
longue ? Il a été propre à quel âge ? Il a été en crèche ? Comme
s’y comportait-il ? Il était comment à la maternelle ? » Etc…
etc… etc… Et croyez-moi, faire remonter ces souvenirs à la surface n’est pas
chose aussi aisée qu’on pourrait le croire. Et le pire, c’est quand on vous
pose des questions du genre : d’après vous, sa façon de jouer était
typique de ce que font les autres enfants ? Euh... mais... je ne sais pas moi ! Je ne sais pas
comment un enfant de son âge joue « normalement ». ^^
Alors,
j’ai répondu aux questions et j’ai répondu à l’interminable questionnaire le
plus honnêtement possible, mais toujours avec la peur au ventre. Celle de ne
pas me souvenir correctement, d’oublier des choses, des détails qui pourraient
avoir leur importance et la peur également, de ne pas comprendre la question
correctement compte tenu du fait que le questionnaire était en bon
allemand !
Heureusement,
la psychologue connaissait son métier. Elle m’a expliqué que si le
questionnaire multipliait les questions, c’était justement pour pallier à
certaines difficultés soit de compréhension soit d’appréhension de la réalité.
Ainsi, en croisant les réponses, même si elles comportent des erreurs ou des
inexactitudes, le résultat pointera malgré tout vers la réalité des faits.
Oui,
elle connaissait son métier. Elle a écouté mes réponses en m’accordant le temps
de fouiller dans ma mémoire et acceptant avec indulgence les moments où
j’avouais mon incapacité à me montrer aussi précise que je l’aurais voulu, soit
que je ne me souvenais pas très bien, soit que je ne trouvais pas les mots pour
m’expliquer clairement. Elle a pris des notes, beaucoup. Puis elle s’est entretenue
avec mon fils. Quatre fois en tout en l’espace d’à peine plus d’un mois et
demi. Ça surprendra peut-être, de tels délais. Mais il faut dire que mon fils
était vraiment et très visiblement en souffrance et qu’il y avait, dans sa
situation, une forme d’urgence.
Finalement,
au terme de ces entretiens, le diagnostic est tombé : mon fils est
autiste.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire