8 mai 2019

Deux.



Évidemment, lorsque mon fils a commencé à avoir des difficultés ; lorsqu’on nous a orienté vers un psy et que le diagnostic a finalement été posé, c’est à lui que l’on a consacré la plupart de nos pensées et de notre énergie. Puis, alors que les choses se mettaient en place pour l’encadrer et l’aider au mieux, j’ai consacré du temps pour lire, comprendre, m’informer. Et j’ai effectivement appris et comprit tout un tas de choses. Mes a priori et mes idées reçues ont volé en éclat et, avec le recul, j’ai finalement pris conscience de tout un tas de détails et de signaux qui auraient pu nous alerter si seulement nous avions su.

Ensuite, je me suis bien évidemment posé la question de l’origine du trouble. J’ai rapidement compris que le sujet faisait encore débat mais que la piste génétique semblait vouloir se confirmer. J’ai creusé un peu le sujet et j’ai découvert que certaines études faisaient état du fait que dans la fratrie, la récidive pouvait atteindre jusqu’à un enfant sur 5. C’est-à-dire que, selon ces études, lorsqu’on décelait un autisme chez un enfant, il y avait jusqu’à 18% de « risque » de déceler un autisme chez les autres membres de la fratrie.

Alors, du coup, je me suis tournée vers ma fillette de 9 ans (10 aujourd'hui) et je me suis creusée la tête. J’ai fouillé mes souvenirs, j’ai observé son comportement, j’ai demandé à sa maitresse comment elle se comportait à l’école. Et soudain, j’ai su. Et puis j’ai eu des doutes – ne voyais-je pas simplement ce que je craignais de voir ? Et puis, les « symptômes » étaient moins « flagrants », alors… ?

Alors, j’ai lu, je me suis documenté et j’ai découvert que les fillettes et les femmes étaient souvent sous-diagnostiquées. La faute une meilleure capacité à « camoufler » les difficultés rencontrées (en imitant les autres, par ex), la faute aussi à des comportements plus « attendus ». Une fillette discrète sera considérée comme étant simplement timide et son côté réservé ou solitaire n’interpellera pas ou beaucoup moins que s’il s’agissait d’un garçon. Les centres d’intérêts restreints pourront être également plus « discrets » ou plus « normaux ». Bref, chez les filles, l’autisme est plus difficile à cerner.  

Mais le fait est que ma petite princesse n’a que peu d’amies, qu’elle joue finalement souvent seule dans la cours de l’école et qu’il lui arrive de ne pas comprendre ce que les autres trouvent drôle ou amusant. Elle ne comprend pas toujours le second degré ou l’ironie et il n’est pas rare que je sois obligée de lui dire, après une petite remarque humoristique : « c’est une plaisanterie, ma chérie ». Elle a du mal à se concentrer en classe et sa maitresse ou l’une des assistantes scolaires de sa classe sont souvent obligé de la tirer de ses rêveries. On lui a offert des poupées, des Légos, des figurines animalières, mais s’il lui est arrivé de tenter de jouer avec une ou deux fois, elle a toujours fini par revenir à ses dessins (de dragon ou de licornes), ou à ses jeux vidéo. Et, lorsqu’on me demande ce qu’on pourrait lui offrir pour lui faire plaisir, j’ai beau essayer de me montrer imaginative, le fait est que je finis toujours par répondre : « quelques nouveaux crayons, ou un tableau à peindre avec les chiffres »… Elle non plus n'aime pas les surprises et aime sa routine et son train-train quotidien. Et, d’autres petites choses qui pourraient relever du détail s’ils ne venaient pas, tout simplement, compléter le puzzle.

Alors, j’ai pris rendez-vous.
Et le diagnostic est tombé : ma fille est une Aspergirl.

Et le souci, ma plus grande inquiétude, c’est qu’elle semble ne pas en avoir conscience.
Avec Salimar, le diagnostic est venu en réponse à une souffrance, un profond mal-être. Avec le diagnostic, il se comprenait enfin un peu mieux et il a accepté l’accompagnement psychologique comme une chose logique, un réel soutien.
Mais ma princesse n’est pas convaincue d’être différente. Et je ne sais pas, du coup, comment les choses vont se passer avec elle, de quelle aide, exactement, elle va avoir besoin, ni quelle forme pourra prendre cette aide.

Il y a une chose que je n’ai pas encore abordée sur ce blog. C’est la certitude que j’ai acquise selon laquelle je suis, moi aussi, une aspergirl. Aucun diagnostic officiel n’a été posé. Mais je sais.

Je sais donc aussi à quel genre de souffrance on peut s’exposer en tant qu’adolescente lorsque l’on est différente des autres ; lorsqu’on a tellement de mal à écouter les cours, à prendre des notes ; lorsqu’on écoute, désespérément, son  prof débiter son cours tout en se demandant où il veut en venir, quel est son  plan, quelles sont les choses que l’on doit prendre en note ou pas, en se désespérant d’écrire tellement lentement que l’on perd le fil de la leçon. Lorsqu’on ne comprend pas pourquoi le prof n’impose pas le silence dans sa classe alors que tous les chuchotements de vos camarades vous déconcentrent et vous empêchent d’écouter le cours. Lorsque, au moment de rentrer à la maison, vous angoissez parce que le bus n’est pas garé à sa place habituelle ou qu’il est en retard et que vous avez peur de l’avoir raté. Lorsqu’on vous regarde de travers parce que vous chantonnez dans la cours du collège en regardant les nuages. Lorsqu’on ne comprend pas le besoin qu’ont les autres d’aborder certains sujets que l’on trouve totalement inintéressants ou frivole ou répétitifs. Lorsque les autres ne partagent pas notre attachement au règlement de l’école ou notre soif de justice ou d’équité. Lorsqu’on ne comprend pas l’hypocrisie dont certains enfants peuvent faire preuve. Lorsque, à force de ne pas comprendre pourquoi les autres rigolent, on finit par devenir paranoïaque et penser que les rires sont forcément liés à des moqueries des autres vous concernant. Lorsqu’on ne comprend pas pourquoi les autres vous trouvent bizarre alors que ce sont eux qui sont bizarres. Et surtout lorsque toutes vos tentatives pour vous faire des amies semblent vouées irrémédiablement à l’échec… Lorsque, à la maison, le moindre détail peut vous mettre les neurones à l’envers, que vous perdez le contrôle de vous-même et que rien, absolument rien, ne peut plus vous calmer ; lorsque, la crise passée vous culpabilisez et que vous ne supportez même plus votre reflet dans le miroir ; lorsque ces crises deviennent tellement fréquentes et intense que vous vous demandez si, par hasard, vous ne seriez pas possédée par un démon ; lorsque vous finissez par vous convaincre que vous êtes une personne méchante.
Oui, je sais, tout cela et d’autres choses encore.

Et je suis heureuse que ma fille ait été diagnostiquée avant de commencer à connaitre tout cela. Mais si elle n’est pas consciente des difficultés qui l’attendent comment pourrait-elle accepter notre aide ? 

8 commentaires:

  1. Je me reconnais énormément dans la description que tu fais de toi même adolescente... et certaines chose n'ont pas changé en ce qui me concerne (et toi aussi, j'en suis sûre). Mais je ne sais pas si j'ai un TSA...
    Pour ta fille, il va d'abord falloir qu'elle "digère" l'information. Elle a le même âge que mon aîné lorsqu'il a été diagnostiqué. Il n'est pas asperger, il est autiste de haut niveau. Si j'ai bien compris, la différence principale réside dans l'âge d'apparition des symptômes. Vers 4 ans pour un asperger et dès les premières semaines de vie (ou la naissance!) pour un autiste de haut niveau. L'évolution est différente également puisqu'un autiste de haut niveau va voir son trouble s'amenuiser avec les années et s'il est bien soutenu, ce trouble va se manifester de moins en moins. A ce jour, beaucoup de personnes trouve mon aîné tout à fait "banal".
    Il a d'abord appris l'origine de sa différence. Il a ensuite fallut que s'écoulent plusieurs mois avant qu'il prenne conscience qu'il ne serait jamais comme les autres. Il en a pleuré quand il l'a réalisé.
    Mais il sait aussi qu'il a des "avantages". Il est extrêmement pointilleux et prend un soin énorme de ses affaires. Du coup, il garde ses affaires très longtemps et il en est assez fier. Il est fort en informatique. Son enseignant a même noté sur son bulletin scolaire qu'il était "fait pour ça", ce qui lui a grandement fait plaisir car il envisage de faire ses études dans ce domaine et ses bulletins devront être fournis l'an prochain aux écoles dans lesquelles il veut s'inscrire. Mais ses relations avec ses pairs restent assez superficielles. Il a du mal à se lier. Il passe pour une personne discrète et réservé alors qu'il adorerait avoir plein de copains. Mais il ne comprend pas bien l'attitude des autres et les trouve trop bizarres je crois. je ne sais pas s'il en souffre. Il a trois bons copains qui eux aussi sont un peu hors norme et ça lui convient. Mais il lui a fallut du temps pour les avoir...
    Laisse un peu de temps à ta fille. Pour elle, ça ne signifie encore rien. Et si elle n'en souffre pas, c'est encore mieux non? Le fait que son frère soit comme elle lui permet aussi de se sentir moins différente sans doute.

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  2. Merci pour ce témoignage. Il m'aide énormément.

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  3. En ce qui concerne la différence entre autisme de haut niveau et syndrome d'Asperger, nous n'avons pas les mêmes définitions / distinctions.

    Ici, les psy m'ont dit que mon fils et ma fille entraient dans la catégorie "Asperger".. que l'on appelait parfois "autisme de haut niveau". lol. Donc, ici, pour les psy, c'est la même chose. lol.


    Mais que nous n'ayons pas la même définition, ça ne m'étonne pas, car en réalité, tout va dépendre de l'ouvrage de référence. A l'heure actuelle, il existe deux ouvrages de référence majeurs : le CIM 11 (publié par l'OMS) et le DSM 5 (rédigé par l'association américaine de psychiatrie). Ces deux ouvrages récents ont tous deux tenté, à leur manière, de regrouper les anciennes catégorisations et classifications liées à l'autisme sous une seule bannière (bien que chacun d'une façon différente - c'est le DSM 5 qui recommande de tout regrouper sous le terme de TSA). Mais, ces deux ouvrages sont récents ! Et nombre de spécialistes se réfèrent encore aux anciennes versions (CIM 10 ou DSM 4). Sans parler du fait que, en France, il existe un ouvrage de référence distinct - classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent ou CFTMEA. Il est à noter d'ailleurs que cet ouvrage est souvent controversé quant à sa vision et définition de l'autisme car très largement inspirée par la psychanalyse alors que l'on sait désormais assez clairement que l'autisme est un trouble neurologique.

    Bref, c'est pas simple.

    J'avoue ne pas être convaincue que le trouble puisse s'amenuiser. De ce que j'ai pu lire ou entendre, de mon côté, on peut plutôt s'attendre à ce que le trouble soit mieux géré, mieux vécu, mieux assumé. L'autiste va, peu à peu, au fil du temps et des expériences, développer des outils ou des stratégies pour apprendre à vivre avec son autisme. Mais l'autisme en lui-même et les difficultés qu'il génère ne s'amenuiseront pas.
    La psy de mon fils a d'ailleurs récemment rappelé à ses professeurs et à moi-même par la suite, que ce n'était pas parce qu'il avait fait des progrès et que certains "symptomes" extérieurs étaient moins fréquent ou moins intenses que les difficultés avaient disparues. Simplement, avait-il, avec les conseils qu'on lui avait déjà fourni, développés quelques stratégies pour mieux gérer ces difficultés.

    ça se discute, donc, comme dirait l'autre ;)

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    2. Je pense que le trouble ne s'amenuise pas vraiment (je me suis je pense mal exprimée). Mais la personne apprend peu à peu, au fil de ses expériences, à appréhender les situations, à décripter les regards et les attitudes des autres, à s'organiser aussi, notamment dans son quotidien et dans sa scolarité.
      Nous avons, dès le plus jeune âge de de notre aîné (il avait à peu près 7 ans je pense, mais était peu réceptif au début, il nous écoutait mais ne répondait pas... il a fallu attendre qu'il ait 9 ans pour que la communication commence à circuler dans les deux sens) des discussions récapitulatives quand il rencontrait un souci à l'école ou avec ses petits frères. On lui parlait des faits, de ce qui s'était passé, en tâchant de ne pas porter de jugement. On lui précisait ensuite ce qui avait pu mal se passer dans la relation (par exemple, le fait qu'il ait déchiré le dessin d'un camarade de classe) et on lui indiquait ce qui était autorisé et ce qui était interdit (même si le dessin de ton camarade de classe ne te plaît pas, tu n'as pas le droit de le déchirer). On essayait ensuite de l'aider à trouver des attitudes à adopter dans ce cas qui auraient été mieux perçues, qui aurait été plus pertinentes (tu aurais pu lui dire que ce dessin ne te plaisait pas. Même lui dire que tu ne l'aimais tellement pas que tu avais envie de le déchirer. Mais tu ne le déchires pas car tu respectes son travail).
      Nous avons appris lors du diagnostic que cette méthode est un "médiation relationnelle". On nous a dit que c'était la seule façon de procéder afin de développer ses habiletés sociales.
      Intuitivement, on avait remarqué que ses relations s'amélioraient avec nous et avec ses frères en procédant comme ça. On a appliqué également cette "méthode éducative" à nos deux autres enfants, non diagnostiqués à ce jour, mais qui ne rentrent pas dans le moule non plus. On en passe très rarement par des punitions (excepté pour réparer une erreur ou si on a mis "une carotte "et que l'objectif fixé n'est pas atteint) et jamais par des brimades, des coups... hors de question! Je trouve que c'est la meilleure façon d'aider chacun à s'améliorer.
      Après, je ne sais pas comment le syndrome évolue du point de vue de celui qui le porte. Mon fils est heureux cette année d'aller à l'école et d'avoir des camarades de classe avec lesquels il s'entend bien. Il est dans une classe dont le niveau est assez élevé apparemment; des gamins plutôt polis et bosseurs et pour lui, c'est très important. La brutalité, la vulgarité, la grossièreté semblent le heurter énormément.
      Alors du coup, il est un peu mieux dans sa peau. Mais il est aussi en pleine adolescence, dont je ne sais jamais si ses périodes de mal être sont dues à l'adolescence ou à son souci...
      J'ai quand même l'impression que même si l'autisme ne s'amenuise pas, son expérience des relations humaines lui permet d'être plus à l'aise avec les autres et je me dis que ça lui permet, intérieurement, de prendre confiance en lui et d'apprécier davantage le relationnel plutôt que de se forcer à s'isoler comme il le faisait enfant. Il me dit souvent que quand il était trop mal, ce qu'il préférait , ce n'est pas d'être écouté par nous et encore moins qu'on le console, le câline... c'était être seul dans le calme de sa chambre.
      Le monde scolaire est rarement bienveillant et je pense qu'avoir un peu plus de cartes dans ses mains l'aide à oser aller vers les autres. Voilà en quoi je pense que le temps (et l'expérience, sinon, le temps ne sert à rien!) peut jouer en leur faveur.

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  5. Désolée... j'ai voulu poster un commentaire, mais il y avait des fautes... du coup, tu as des commentaires supprimés... :-(

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  6. Pas de soucis pour les commentaires supprimés.

    Merci pour avoir passé du temps à me répondre. Je comprends mieux ton point de vue et constate que nous procédons en réalité de la même façon.
    Pour le moment, mon fils ne voit que des inconvénients à aller à l'école. j'espère qu'il changera bientôt de point de vue, car pour le moment c'est très dur de le motiver pour aller et rester à l'école et encore plus pour les devoirs à la maison. C'est dommage car, quand il veut bien travailler, il obtient assez facilement de bonnes notes.

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