Il y a quelques semaines, sur un
réseau social, j’ai lu le message d’une maman qui se désespérait de voir son
fils autiste régresser à cause du confinement. Et j’avoue avoir été
troublée par l’utilisation du mot « régression » et la complainte de
cette femme. J’ai donc longuement réfléchit à ce que cette femme voulait dire,
ce qu’elle cherchait à exprimer et pourquoi, moi, cela pouvait me troubler. Au
final, j’ai fini par comprendre que
j’étais troublée car il y a derrière l’idée de la régression, une autre
idée : celle d’une possible rémission, voire d’une guérison. Or, l’autisme
ne se guérit pas.
Bien qu’on en ignore encore
l’origine et/ou les causes, il est une chose que les recherches sur l’autisme
ont pu établir : il ne s’agit pas d’un trouble psychologique que l’on peut
guérir ou soigner avec une thérapie et/ou une médication adaptée. Il s’agit
d’un trouble neurologique. C’est-à-dire que c’est l’architecture même du
cerveau, la manière dont les neurones sont agencés, qui est différente. Et
c’est à cause de cette architecture différente que les personnes autistes
éprouvent des difficultés dans tout ce qui concerne les interactions sociales,
ainsi que la gestion de leurs émotions. C’est sans doute également à cause de
cet agencement différent des neurones que les autistes développent des intérêts
restreints et des stéréotypies, même si cet aspect des choses reste encore très
mystérieux.
Concernant ces difficultés dans
le domaine des interactions sociales et de la gestion des émotions, l’analogie
la plus communément répandue reste celle qui oppose les ordinateurs Mac et les
PC. Personnellement, cette analogie ne me parle pas beaucoup. Je ne connais pas
assez subtilement les différences qu’il peut y avoir entre ces deux outils qui
ont la même vocation, mais qui ne gèrent pas les choses de la même façon.
Toutefois, pour les personnes qui, comme moi, auraient du mal à comprendre
cette analogie, je vais en proposer une seconde qui va mettre en scène des
ordinateurs ordinaires mais équipés de manière différentes. Ainsi, là où, chez
une personne lambda, ce sont des câbles à haut débits associés à des logiciels
de traitement de l’information dernier cris qui seraient utilisés pour gérer
les relations sociales, on ne trouverait, chez les personnes autistes qu’un
vieux câble 56k associés à des logiciels poussifs à qui l’on n’aurait alloué
qu’un tout petit espace de travail. Bref, ce n’est pas que les relations
sociales soient impossibles, c’est juste que ça prend plus de temps et qu’il ne
faut pas en demander trop à la fois sinon, on risque purement et simplement de
mettre le système « à genoux », voire de le faire
« planter » au point de nécessiter un « reboot » de la
machine.
La question qui se pose, ici, c’est de savoir à quel point on va pouvoir
« upgrader » ou modifier le système pour le rendre, si c’est
possible, plus performant. La réponse est : un peu, mais pas forcément
beaucoup. On ne pourra pas toucher au cœur du système. L’architecture de base restera
toujours la même. Il existe toutefois une certaine marge de manœuvre. La
plasticité cérébrale sera un atout – surtout si la personne autiste est prise
en charge et obtient une aide adéquate tôt dans sa vie (durant l’enfance).
Ensuite, si on ne peut pas toucher à l’architecture de base, on pourra
toutefois essayer d’ajouter ce que j’appellerais de « l’espace de stockage »
ou de travailler sur « les bases de données » pour les rendre le plus
efficace possible.
D’ailleurs, arrêtons-nous un
instant sur les « bases de données » et « l’espace de
stockage » - tout en gardant à l’esprit que nous parlons ici des capacités
liées aux interactions sociales et la gestion des émotions.
Commençons par les bases de
données.
Une personne Lambda stockera
naturellement et spontanément toute une foule d’information concernant ses
propres interactions sociales ainsi que celles dont elle pourra être témoin et se
constituera, naturellement, au fil du temps, une sorte de base de données dans
laquelle il lui suffira de piocher pour adapter spontanément son comportement.
Rapidement, cette base de données sera suffisamment riche pour que la personne
Lambda parvienne à s’adapter très rapidement à quasiment toutes les situations
possibles. Et lorsque la personne Lambda se retrouvera dans une situation
inhabituelle, il suffira à cette personne de croiser certaines données et de se
référer à des situations suffisamment similaires pour s’adapter.
Chez une personne autiste,
l’intégration des données ne se fera pas toujours spontanément, ni naturellement.
En outre, le traitement des données, l’établissement de comparaison et les
croisements de données ne se fera que de manière très imparfaite, quand il
parviendra à se faire ! – c’est pour cette raison, d’ailleurs qu’une
personne autiste sera souvent mal à l’aise face à une personne qu’elle connait
si elle rencontre cette personne dans un environnement inhabituel. Ainsi,
lorsque mon Salimar a invité un camarade de classe à la maison pour la première
fois, il s’est retrouvé figé, incapable d’agir et de trouver ses mots pour
simplement dire bonjour, lorsque son camarade de classe s’est présenté sur le
seuil de notre appartement. Il lui a fallu quelques minutes pour « traiter
l’information », i.e. éliminer de son esprit tout ce qui était différent
(horaires, lieux…) et contraindre son esprit à voir les similitudes (son
camarade de classe, leurs sujets de discussions habituels…) et parvenir ainsi à
gérer son malaise et établir, au final, la communication.
L’espace de stockage, quant à
lui, ne sera pas forcément plus limité que chez les autres personnes. Le souci,
c’est que le traitement des différentes informations sera plus lent que chez
une personne lambda. Ce qui provoquera plus rapidement une forme de saturation.
Imaginez, pour les besoin de la démonstration, que notre cerveau est une sorte
de forteresse. A la porte principale, on va trouver des gardes qui auront pour
mission de faire le tri des informations. Chez une personne Lambda, les gardes
seront hautement compétents et suffisamment nombreux pour que – la plupart du
temps – le flux d’information soit étudié, trié et orienté de telle manière que
le flux reste en permanence, fluide. Chez une personne autiste, les gardes
seront moins compétents ou moins nombreux, voire les deux. Ce qui fait, que, au
bout d’un moment, ça va forcément bouchonner avant, dans certains cas,
d’arriver à saturation.
Si on comprend cela, on comprend
aussi comment un autiste va pouvoir évoluer dans le temps et sur quels axes il
pourra travailler pour « s’améliorer ». Mais on comprendra aussi que,
quoi que l’on fasse, il restera toujours des contraintes et des limites à ce
que l’on pourra obtenir en guise de « progrès ».
J’ai longuement réfléchi à la
question – dans le but d’aider et accompagner mes enfants le plus efficacement
possible. Et j’ai fini par comprendre ce qu’impliquait vraiment le fait de dire
que l’autisme ne se guérit pas. Pour vous aider à comprendre à votre tour, je
vais effectuer une nouvelle analogie (proche de celle que le spécialiste
anglais Tony Attwood utilise parfois).
Les neurotypiques roulent dans
des voitures modernes à boîtes automatiques, limiteurs de vitesse, lecture
automatique des panneaux, direction assistée, phares automatiques et tout le
toutim… Tandis que les autistes roulent dans de vieilles voitures à boites manuelles.
Ainsi, lorsqu’une personne neurotypique prendra le volant, le nombre de chose
qu’il aura à gérer sera limité (la direction, le choix de l’itinéraire, le
maintien de sa vigilance…) tandis que la personne autiste devra, en plus, gérer
les changements de vitesse, penser à mettre les essuie-glaces s’il se met à
pleuvoir, gérer les phares, surveiller son compteur de vitesse etc.
Afin d’améliorer le confort de
ses trajets en voiture, un autiste pourra travailler sur l’automatisation de certaines
tâches à force d’entrainement et d’apprentissages appropriés, mais il ne sera
jamais possible de modifier le modèle de base. Si un autiste commence sa vie
avec une 205, il finira sa vie avec sa
205.

Alors, évidemment, comme chez
absolument tout le monde, il y aura, comme on dit, des jours avec et des jours
sans. C’est-à-dire qu’il y aura des jours où la personne autiste va parvenir à
faire son « trajet » quotidien sans accrocs – au point, parfois que
son autisme deviendra presque invisible (l’autisme, surtout chez ceux que l’on
désigne parfois comme « Autistes Asperger » est d’ailleurs
souvent qualifié de « handicap invisible »). Mais il y aura des jours où rien n’ira. La
personne autiste aura beau essayer d’utiliser tous les outils qui sont à sa
disposition, ou bien mettre en place toutes les stratégies qu’elle aura appris
à développer, le trajet se passera mal. Il suffira d’une mauvaise nuit de
sommeil, un accroc dans les habitudes, un cumul d’information trop important,
des émotions inhabituelles ou trop fortes et souvent, des petits grains de
sables, des choses qui pourraient, aux yeux des neurotypiques, n’être que des
détails mais qui, pour la personne autiste deviendront des montagnes à
soulever, des murs infranchissables. Il ne faut pas oublier non plus que la
gestion des relations sociales et des émotions demandant plus d’effort à une
personne autiste, les situations sociales vont également générer plus de
fatigue et demander une plus longue période de récupération. Ainsi, une
personne autiste qui fera l’effort de participer à un cocktail ou un pot de
départ, par ex. aura besoin de temps pour récupérer et une nuit de sommeil ne
suffira pas toujours. Il sera donc fort possible qu’après un tel évènement, la
personne autiste soit plus fragile durant quelques jours. Il ne s’agira pas ici
de voir une régression. Si son autisme a plus d’impact que d’habitude sur son
quotidien, ce n’est pas que la personne a régressé ou qu’elle fait moins
d’effort, c’est juste un rappel que l’autisme ne se guérit pas, qu’il est
toujours là, à impacter la vie de la personne, parfois en sourdine, parfois de
manière assourdissante.
Le véritable rayon d’action, la
vraie marge de manœuvre dont dispose une personne autiste, c’est d’apprendre à
cerner quelles sont les contraintes et limites liées à son autisme afin de
s’équiper d’outils ou de mettre en place des stratégies qui lui permettront de
pallier au mieux ces contraintes et ces limites. Ces limites et ces contraintes
pourront évoluer au fil du temps. Mais elles ne disparaitront jamais. La
personne autiste devra apprendre à faire avec, à les accepter et les respecter.
Et si l’on souhaite vraiment éviter de faire de cette différence un handicap,
l’entourage de la personne autiste n’aura pas d’autre choix possible et
raisonnable que d’apprendre à faire avec, à les accepter et les respecter.